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Editorial

Si la presse le dit, ce n’est peut-être même pas vrai!

Que vaut une presse mal informée ? Aussi caricaturale qu’elle puisse paraître, cette question à tout son sens dans un contexte où la presse conventionnelle n’a plus le monopole de l’information. Privée de ses meilleurs éléments qui se sont envolés vers de nouveaux horizons pour des raisons multiples et variées, la presse n’informe presque plus. La mise en agenda de certains sujets dans les médias est déterminée par les plateformes numériques. De jour en jour, la presse paie le prix fort de la désinformation.

Il est triste de constater pour une population d’environ 11 millions d’habitants il n’existe pas en Haïti un seul quotidien disponible en version papier. Le bruissement des pages, l’odeur de l’encre, les coupures de presse, tout cela manque aux lecteurs. Ces derniers ne sont plus capables de parcourir les grandes manchettes du jour, parcourir les articles de fonds et jeter un regard curieux sur les annonces mortuaires et les offres d’emplois, autour d’une tasse de café bien chaud en fumant la pipe. Certains diront que les journaux ne sont pas disponibles en version papier mais les informations sont sur la toile. Mais quelle toile, pour quelle mise en valeur ? Le déclin du lectorat de la presse écrite en Haïti pourrait s’expliquer par le manque d’intérêt pour la pensée savante. La presse « fast food » est plus comestible. La radio et les nouveaux médias sont des exemples probants.

Dans le temps, la radio faisait autorité. Ce qui se disait à travers les ondes hertziennes avait valeur de vérité. Il est rapporté que ce medium populaire aurait contribué à la libération de la parole en jouant un rôle actif dans le renversement de la dictature des Duvalier en février 1986. Cette parole libre a fini par créer des individualités qui se croient plus importantes que le medium lui-même. À un moment donné, la radio fût victime de son succès. Le Conseil National de Télécommunication ne pouvait plus satisfaire les demandes d’attribution de nouvelles fréquences. Par stratégie, pour contourner le problème de la saturation de la bande FM, presqu’à chaque station de radio se trouve rattacher une chaîne de télévision.

De manière générale, les télévisions haïtiennes n’arrivent toujours pas à assurer de manière autonome des contenus pour leur programmation. La grille de programme est agrémentée en grande partie de contenus internationaux. Par ailleurs, faisons remarquer que depuis un certain temps un nouvel acteur se taille une place dans le paysage médiatique haïtien, les médias en ligne. Il est pratiquement impossible de les dénombrer à force de leur pullulement au quotidien. Quelques-uns se sont démarqués à travers le menu proposé au public tels, sujets originaux, constance dans la diffusion d’informations, entre autres. Mais pour l’essentiel ce sont des façades qui servent à autre chose.

Sous la domination des réseaux sociaux …

Il faut comprendre que l’essor d’Internet a mis à genoux une presse fébrile avec des ressources très limitées. On est passé d’une presse respectée à une presse indulgente. Cette mutation est à mettre à l’actif de l’expansion des plateformes numériques en Haïti. Au cours de ces dix dernières années, du mode d’organisation à la façon d’informer en passant par le traitement de l’information, c’est le fondement même de la presse qui est remis en question.

Il convient de préciser qu’à la faveur d’Internet, certains individus sont devenus des animateurs pour le moins « populaires » sur les réseaux sociaux mais n’ayant pour autant le minimum requis pour être derrière un micro ou une camera à animer un show. La nature a horreur du vide. C’est dans ce contexte qu’une multitude d’émissions « d’analyse politique » a vu le jour avec des animateurs suffisants, donneurs de leçon ou devins qui savent tout et voient tout.

Il faut préciser que, sur le terrain du numérique, amateurs et professionnels des médias, en quête de scoops, se bousculent afin de collecter des cadeaux, « views » et « like ». Cette course effrénée derrière ces futilités les pousse à mentir, promouvoir des discours haineux, servir des causes malsaines et hypothéquer l’avenir des générations futures. Force est de constater sur les réseaux sociaux, ceux pour qui la société avait une certaine estime au regard de leur passé ou de leur présomption de connaissance, ils ne valent pas mieux. Hélas !

Les politiciens et experts font la concurrence aux médias conventionnels en matière d’information sans le dire. Au lieu de prendre part à une émission pour débattre, les politiques préfèrent annoncer à travers un tweet qu’ils seront « live » à telle heure. Ils invitent les gens à suivre leur intervention. Pareille avec les experts en économie. Aujourd’hui, presque tous ont leur propre espace de prise de parole.

Autrefois, le présentateur du journal radio n’était pas tenu de se saper pour dire le journal. De nos jours, c’est une obligation tacite d’être chic. Les éditions de nouvelles sont en direct sur Facebook, X et YouTube donc, il faut une image potable. Cela est aussi valable pour les femmes qui doivent faire le make-up et être tirées à quatre épingles. L’adaptation jusque là n’est pas si grave. Là où le bas blesse c’est quand les journalistes reprennent sans gêne dans un journal ou dans une matinale, les bribes de contenus informationnels bruts qui circulent dans les groupes WhatsApp ou sur Facebook comme des faits avérés.

C’est alarmant de constater que la presse de nos jours n’arrive plus à prendre l’initiative de l’information. Les journalistes professionnels, dans leur grande majorité, ne prennent plus le temps d’investiguer, de vérifier, voire de recouper les sources avant de diffuser une quelconque information. Rectifier une nouvelle erronée est devenue une seconde nature pour certains médias, journalistes et animateurs sur Internet à force de faire écho de ce qui se dit sur les plateformes numériques. Comment la presse peut-elle prétendre informer si elle n’a pas accès aux sources d’information, si elle ne peut pas investir le théâtre des évènements ou des opérations ?

Nous n’avons pas en mémoire, ces derniers temps, un seul dossier pour lequel la presse a assuré un suivi qui aurait favorisé l’émergence de nouveaux débats dans l’opinion publique. Quand cela ne va pas dans un couple, on suggère aux concernés de savoir laisser la table quand l’amour est desservi. Pour paraphraser, devrait-on demander aux journalistes de vider les lieux, de laisser tomber le micro, la caméra et le clavier puisqu’ils ne sont plus aux commandes de l’information ?

Il serait trop facile de croire que l’abandon est le principal remède au fait que les nouveaux médias supplantent la presse conventionnelle en matière d’information. Rappelons que les journalistes professionnels ne sont pas régis par les mêmes exigences déontologiques et éthiques que les amateurs actifs sur les réseaux.

L’adaptation aux nouvelles réalités des médias sociaux n’est pas un problème en soi. Mais, quand la presse conventionnelle se laisse entraîner par les réseaux sociaux sur le chemin de la désinformation ou de la mésinformation, c’est comme vendre son droit d’aînesse pour des « views » et des « like ». La presse devra renaître de ses cendres.

Jacky MARC
Métronome, Mars 2025

La Rédaction