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Editorial

Haïti-R-D/Conflit de Maribahoux : l’expression d’une haine historique !

Haïti et la République dominicaine ont en commun une histoire saccagée. Les tensions entre les deux pays sont récurrentes. Cette semaine, c’est celle concernant le canal de branchement sur la rivière Massacre qui est mise sous projecteur. Les autorités dominicaines demandent péremptoirement de mettre un terme à la construction du canal. Une demande considérée comme insultante par les paysans de Ouanaminte qui mettent tout en œuvre pour achever les travaux et arrosés les terres desséchées de la plaine de Maribahaoux, d’autant que les Dominicains ont déjà fait onze prises sur cette même rivière.

Dire que les rapports entre les deux Républiques sont fortement déséquilibrés, est un euphémisme. Les raisons qui pourraient justifier ce déséquilibre sont multiples. Historiquement, comme le souligne Jean Marie Théodat, dans son texte « Haïti et la République dominicaine : la Négritude en partage»,  les deux pays se sont construits sur des récits fondateurs différents. D’un côté, en Haïti, on met en exergue l’origine africaine et surtout les éléments culturels comme marque d’authenticité, alors que de l’autre, en République Dominicaine, on occulte la participation des noirs pour mettre sous projecteurs les ascendances précolombiennes et hispaniques comme éléments fondateurs de la Nation.

Les deux pays sont donc construits à partir de réalités historiques différentes et se sont développés, si l’on se réfère à Sauveur Pierre Étienne, dans son livre « Haïti, La République dominicaine et Cuba »  en empruntant des trajectoires différentes. Le Dominicain se définit de manière antagonique par rapport à l’Haïtien. L’« Afrophobie »  de l’autre côté de l’ile, qui est d’abord un « anti-haïtiannisme », est un élément fondamental de la politique étrangère dominicaine, notamment dans ses rapports avec Haïti. C’est également une manifestation de la crise identitaire que connaissent les dominicains suite à cette « occultation de l’africanité et l’utilisation du magico religieux comme élément de différenciation avec l’Haïtien », suivant les réflexions de Jean Arsène Yao, dans son analyse sur les pratiques religieuses et conflits identitaires en République dominicaine.

Et cette interférence permanente des Dominicains, que ce soit le Président actuel Luis Abinader, ou le Président Léonel Fernandez, avant, qui se croit investi du droit suprême de défendre les intérêts haïtiens dans les grands fora internationaux, à la place des Haïtiens, est justement motivé par cette peur et cette supériorité factice qui constitue une manière de protéger les intérêts de leur pays tout en excluant Haïti des cercles discursifs internationaux.

Depuis l’esclavage au 17e siècle, cette différenciation pris corps entre l’esclave de Santo Domingo qui refuse de se concevoir comme noir et l’esclave de Saint Domingue à l’égard duquel il se sent supérieur, comme le rapporte Alain St Victor dans son texte, « Les fondements historiques du racisme dominicain ».  Avec la « dominicanidad », qui est une construction identitaire qui constitue une vaste opération de raturage de l’histoire, les élites dominicaines ont franchi une autre étape dans ce processus de différenciation et de domination.

Elles s’affirment et déterminent la ligne de démarcation qui marquera leurs rapports futurs avec Haïti. Représentée, ces derniers temps, par des incompétents placés au sommet de l’Etat, ou des diplomates vendus, plus occupés dans les commerces de visas et de bourses d’études au lieu de défendre son agenda diplomatique, Haïti a elle-même créé les éléments qui favorisent cette perception de domination ou domination réelle des Dominicains dans les rapports entre les deux pays.

Alors que l’« anti-haïtiannisme » est l’élément fédérateur de l’autre côté de l’île, paradoxalement, ces derniers temps, les Haïtiens qui arrivent au timon des affaires pillent leur pays pour aller investir en République dominicaine. Bien qu’ils soient des victimes directes de la « dominicanisation », ils ne peuvent nullement défendre Haïti car, pour certains, ils doivent en plus de leurs propres intérêts, défendre les intérêts de leurs patrons de la classe économique construits en commun accord avec des hommes d’affaires dominicains.

Ainsi, face à la « dominicanisation » de la République dominicaine initiée par Trujilio pour inférioriser la classe ouvrière et les dominicains d’ascendance haïtienne, Haïti n’a jamais trouvé une vraie parade. Joaquim Balaguer, idéologue de Trujilio dans sa tentative d’inférioriser l’Haïtien, écrit dans son livre la « Realidad Dominicana » que le problème fondamental de son pays est le problème de la race, une manière de montrer que la présence des haïtiens dans son pays était le principal problème. Les négociations avec François Duvalier pour recruter des travailleurs haïtiens dans des conditions similaires à l’esclavage, est l’expression même de ce mépris et de cette haine construite contre l’être haïtien.

À partir de ces éléments historiques, l’on comprend, que dans le cadre de ce conflit sur la construction de ce canal, que les autorités dominicaines se campent en entité supérieure qui impose leur volonté quand bien même cette volonté soit arbitraire et absurde. Le grand drame, c’est que même face à cette situation de violation flagrante des conventions signées entre les deux pays, il devient difficile pour un diplomate de se positionner par rapport à ce dossier.

Après le séisme du 12 janvier 2010, l’emprise de la République dominicaine sur Haïti devient plus marquante. Elle joue, depuis, un rôle déterminant dans les élections des différents présidents qui se sont succédé. Ainsi le scandale provoqué par les financements illégaux du sénateur Félix Bautista accordés aux candidats Michel Martelly et Mirlande Manigat lors des élections de 2010 font tâches. Le sénateur et homme d’affaire dominicain a bénéficié en retour de nombreux contrats de construction via ses firmes HADOM et ROFI, pendant la présidence de M. Martelly. Il a ainsi raflé des dizaines de millions dollars provenant des fonds Petrocaribe. Lequel sénateur sera un peu plus tard arrêté pour corruption par la justice dominicaine.

Si, dans la mémoire collective le massacre des haïtiens de 1937, orchestré par Trujilio, reste un acte grave de violation de droits humains qui a marqué tout le pays et qui, aujourd’hui encore est une source de tension entre les deux peuples, les dominicains n’ont jamais cessé d’humilier les haïtiens et /ou leurs dirigeants. Il est judicieux de rappeler les campagnes d’intimidation à l’encontre de la militante et défenseure des droits humains, Sonia Pierre qui s’était insurgée contre la décision de la Cour suprême dominicaine de priver de leur nationalité des centaines de milliers de dominicains d’origine haïtienne.

Par ailleurs, les rapatriements massifs des Haïtiens, en dépit du protocole d’accord signé en 2009 entre le Président Préval et le Président Fernandez, est un autre élément qui met à nu le caractère autoritaire des responsables dominicains dans leur rapport avec Haïti. Le dominicain peut être tout le monde, sauf Haïtien. Le refus des dominicains de voir les haïtiens arrosés les milliers d’hectare de la plaine de Maribahoux, n’est donc pas un fait anodin. Il participe d’un projet plus vaste de domination politique et économique.

En effet, certains s’inquiètent de la guerre des gangs qui a un impact direct sur l’agriculture en Haïti et plus directement sur les petits producteurs obligés de migrer vers les villes, faute de ne pouvoir vivre de leurs cultures. S’il est vrai que la main des dominicains n’apparait pas clairement dans ces manœuvres cyniques, nul n’est besoin d’être intelligent pour voir à qui profite la destruction de la production agricole. Nous ne soulignerons même pas, les dommages irréparables faits à l’industrie touristique nationale.

D’autres éléments sont également troublants et doivent attirer notre attention. La destruction de certaines cultures comme celles des noix de coco, du petit mil, des citrus qui se font de plus en plus rare en Haïti, est suspecte. Dans un pays où l’État se préoccupe, ne serait-ce qu’un peu, du bien être de sa population, des enquêtes sérieuses auraient déjà été ouvertes sur ces louches coïncidences pour rassurer le peuple.

En tout cas, bon gré, mal gré, Maribahoux, restera un élément fondateur du refus des Haïtiens de se soumettre à la domination dominicaine. Elle place l’État haïtien, un État fabriqué contre le peuple, dans une très mauvaise posture. Malgré ses compromissions avec les autorités dominicaines, ceux qui gouvernent Haïti, ne peuvent ouvertement se positionner contre la construction du Canal. Et ce ne sont pas les réunions déshonorantes tenues en terre voisine qui changeront la donne.

Jean Corvington