Rien ne va plus pour Haïti. C’est un pays malade dans tous ses compartiments: politique, économique, social, environnement et santé. Sur ce dernier cité, nos chiffres pour le début de l’année 2019 sont alarmants. En effet, selon le dernier rapport du ministère de la Santé publique et de la population, le pays compte 911 médecins, 3018 infirmières et 62 dentistes pour une population de 12 millions d’habitants, soit 6,3 médecins pour chaque dix mille habitants. La plus faible statistique de la Caraïbe. Pour sa part, l’organisation Panaméricaine de Santé, (OPS) dans son dernier rapport quinquennal, place le pays en 34e position sur 34 pays qui dépensent le moins en Santé. Toujours selon le rapport, on dénombre 1048 établissements de santé avec seulement 11,64% d’hôpitaux soit 7 lits pour dix mille habitants. Ces Hôpitaux, étant mal équipés, n’arrivent pas à aider la population haïtienne qui souffre de toutes sortes de maladies. Nombreux sont les patients qui se voient obligés de se rendre à l’étranger pour se faire soigner à des coûts exorbitants .Les malades ne disposant pas d’économie pour se faire payer des soins de santé crient leurs misères. Un système en mal développement à l’image du pays, dans un contexte où plus de 4 milliards de dollars du fond petro Caribe sont dépensés dans des projets bidons. A travers ce reportage, Mauryle Azaine vous présente une radiographie de la situation sanitaire.
Monsieur Valciné, âgé de 62 ans, habite en Plaine, à quelques encablures du centre-ville de Port au Prince. Il tombe malade. Il souffre d’une forte toux et d’un essoufflement terrible. Il se rend à l’hôpital, passe tous les tests. On lui a prescrit des médicaments. Son cas s’empire. Il change de médecin. Ce dernier lui-même révèle qu’il a un problème cardiaque. Face à la persistance de son cas, il laisse le pays en urgence. Dès son arrivée à Jackson Hospital, le premier examen révèle que toutes ses artères sont bouchées, il lui fallait une opération en toute urgence. Il a été opéré et aujourd’hui, il est en pleine forme.
Si M. Valciné s’en est bien sorti, Sanette Désir, 52 ans, mère de Roody Wood boy, un rappeur populaire chez les jeunes, n’a pas eu cette chance. Habitant autrefois dans les hauteurs de Cité Militaire, Commune de Delmas, elle qui vient juste de fêter ses 52 ans de naissance, est tombée malade. Comme le rapporte son fils, Roody Pétuel Dauphin, elle n’a pas été autorisée à être admise dans un hôpital de la place pour cause d’argent, car elle n’avait pas les 25 milles gourdes, minimum requis pour être acceptée. La suite vous la connaissez: elle est morte d’une crise cardiaque.
Des hôpitaux malades
A deux doigts du palais national, très tôt dans la matinée… des cris. Une odeur nauséabonde se dégage, on dirait du gaz asphyxiant lâché dans l’air du Champ de Mars méconnaissable à cause des immondices ; ce décor sert de porte d’entrée à l’hôpital de l’université d’Etat d’Haïti, le plus grand centre hospitalier du pays, plus en mal que les malades eux-mêmes couchés à même le sol. Le concert de cris, de larmes, fait naitre un sentiment de pitié dans cet espace répugnant, où un personnel impuissant évolue au milieu de plusieurs centaines de malades, parents et proches.
Le personnel est dépassé par les évènements. L’HUEH manque de tout. Difficile de fournir des soins aux malades. Le tableau que présente l’Hôpital général est le même dans tous les établissements sanitaires publics du pays. L’Hôpital Immaculée Conception des Cayes dans le Sud et l’Hôpital Saint Michel de Jacmel dans le Sud-est ne sont pas mieux lotis. Il est conseillé de ne pas tomber malade, quand on vit avec moins d’un dollar Américain par jour en Haïti.
Le ministère de la santé publique échoue
Le ministère de la Santé publique et de la population (MSPP) gère les hôpitaux Publics. En manque de moyens, il n’a fait que constater l’aggravation de la situation au fil des années. Les grèves récurrentes pour exiger de meilleures conditions de travail, un budget de moins de 6,4 millions de gourdes, pour une population de plus de 12 millions d’habitants, représentent des handicaps majeurs a expliqué l’actuel directeur général du ministère de la santé publique et de la population, Dr Lauré Adrien, l’air embarrassé.
Des médecins s’évertuent malgré tout
Les médecins haïtiens font face à de nombreux problèmes. Outre la question du salaire, il faut aussi noter le manque d’équipements dans les hôpitaux. Les médecins haïtiens, malgré ces différents problèmes, déploient des efforts surhumains, rapporte le président de l’AMH, l’association médicale haïtienne, Jean Hugues Henrys. Le plus grand problème de ces professionnels est le manque de matériels. Des grèves paralysent, à tout bout de champ, un système déjà fragile. Avec un air un peu triste, celui qui dirige la plus prestigieuse association de médecins haïtiens, reconnait que nombreux patients en font les frais. Comme beaucoup d’autres citoyens conscients de l’état lamentable du système sanitaire, le médecin s’est montré optimiste malgré tout.
Un système qui viole le droit des citoyens
En Haïti, les droits de l’homme ne sont pas pris en compte. Pourtant le pays ratifie toutes les conventions relatives aux droits humains. L’article 19 de la constitution haïtienne de 1987 stipule que : « L’Etat a l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé et au respect de la personne humaine à tous les citoyens conformément aux prescrits de la déclaration universelle des droits de l’homme».Cette situation préoccupe des organisations de droits humains. Jocelyne Colas Noel et Antonal Mortimer sont deux hauts responsables d’organisations de défense des droits humains en Haïti. Il s’agit de la CE-JILAP, commission Episcopale justice et paix de l’archidiocèse de Port au Prince et du Collectif Défenseurs Plus. Ils exhortent les autorités à travailler en vue de résoudre les problèmes auxquels fait face le système sanitaire.
De la vente illégale des médicaments
Un sérieux problème ; il empire davantage le système sanitaire haïtien. Aucun regard officiel n’est porté sur cette activité illégale qui prend des proportions alarmantes de jours en jours. On rencontre des marchands de médicaments ambulants partout. Ils mènent leurs activités au su et au vu de tous: Dans les autobus, dans les rues et partout. Selon le président de l’Association des Pharmaciens Haïtiens, Pierre Hugues SAINT JEAN, 350 pharmaciens seulement sont reconnus par le ministère de la Santé publique et de la Population et la plupart des pharmacies fonctionnent sans reconnaissance dudit ministère. L’association qui a commémoré la journée mondiale des pharmaciens par un colloque national, souligne que 30 à 40% des médicaments achetés sont contrefaits. Et pour comprendre cette dynamique, nous nous sommes rendus au carrefour de l’aéroport (Nord de Port au Prince). Sous un soleil de plomb, des marchands ambulants installent leurs paniers de médicaments.
Sans aucun contrôle et sans peur, ils fonctionnent. Ces gens offrent à tout venant des médicaments, souvent avariés. Personne ne sait à combien s’élève le nombre de victimes de ces marchands de médicaments. Malgré tout cela ne suffit pas pour porter les dirigeants à prendre des mesures en vue de freiner ce phénomène.
Le passage des hôpitaux aux églises
La nature a horreur du vide, dit-on. Cette carence d’infrastructure sanitaire adéquate pousse la population nécessiteuse, les petites bourses à se recourir à des cultes religieux à la recherche de guérison. Devenues très célèbres, les églises tentent de remplacer peu à peu les centres hospitaliers. Trois hommes partagent cette suprématie. Il s’agit de l’auto proclamé prophète Markenson Dorilas, le pasteur André Muscadin et le pasteur Marco. Ils réunissent dans leurs temples respectifs des milliers de fidèles, de malades et opèreraient des miracles. Bien que nombreux qualifient leur démarche de zombification, les différents témoignages des bénéficiaires montrent qu’ils en ont marre de ce système sanitaire impuissant. Se réjouissant des bienfaits de ces religieux.
Des centres de formations en pleine défaillance
Invité à intervenir dans les activités hebdomadaires du ministère de la Communication, baptisées, Les lundis de presse, le Directeur général du ministère de la Santé publique et de la population a expliqué, pour soutenir la thèse que notre système sanitaire est malade, que la majeure partie des universités qui forment les professionnels de santé en Haïti n’est pas reconnue par ledit ministère. Dr Lauré Adrien s’est montré préoccupé par la situation des centres de formation en santé. Sur 18 facultés de médecine, 6 seulement fonctionnent avec la reconnaissance du ministère de la Santé publique et 83 écoles d’infirmières sur 174. Des chiffres qui montrent clairement l’état lamentable du système sanitaire haïtien.
Devant ce tableau pour le moins inquiétant, plus d’un se demande pourquoi le ministère de la Santé publique le principal régulateur préfère se plaindre au lieu de prendre des décisions. Une formation de pacotille, ou les propriétaires d’écoles amassent de l’argent honteusement. Les dizaines d’infirmières ayant manifesté devant les locaux du ministère de la Santé publique pour demander aux responsables de baisser la note de passage en dit long sur la qualité de curriculum.
L’insouciance des dirigeants
Le système sanitaire haïtien est à l’agonie; et plusieurs raisons peuvent expliquer l’insouciance des dirigeants. D’abord, ils ne fréquentent pas les hôpitaux haïtiens, il n’est un secret pour personne ; Ils ne font pas confiance aux médecins, majoritairement formés dans les Universités haïtiennes. Une réalité que déplore le président de la commission Santé au niveau de la chambre des Députés, docteur Jacques Dulaurier. De la Présidence de René Préval jusqu’à celui de Jovenel Moïse, aucun de nos chefs d’Etat ne fréquentent les hôpitaux publics. Préval allait se faire soigner assez souvent à Cuba avant sa mort, Martelly et les autres voyagent toujours vers les Etats Unis pour des raisons de santé. Récemment, le sénateur Nahum Marcellus, avait ressenti en pleine séance un malaise, a été transporté en avion ambulance aux frais de l’Etat en vue de recevoir des soins à Jackson Hospital aux Etats Unis. Cette attitude renforce l’insouciance des autorités face au système de santé nationale, critique Jacques Dulaurier, député de la circonscription Terre Neuve (Département de l’Artibonite, Nord de Port-au-Prince).
En 2017, l’envellope budgétaire allouée au parlement Haïtien valait 2 fois les crédits inscrits au budget du ministère de la Santé publique. C’est la preuve du mépris des problèmes de santé de la population, regrette le représentant de Terre Neuve à la 50eme législature. Cependant, il croit qu’il est urgent d’adresser ces problèmes car il y va de la vie de tout un peuple.
L’appel du Réseau des Journalistes en Santé
Le Réseau des journalistes en santé, regroupant des professionnels de la santé et du secteur médiatique en Haïti, eux aussi se sont montrés préoccupés par la situation alarmante du système sanitaire haïtien. Le docteur Odilet Lespérance, le secrétaire général de cette structure n’a jamais raté une occasion pour alerter les autorités du ministère de la santé et du gouvernement central, sur la situation précaire de la santé en Haïti en 2018. « Dans le but d’encourager les décideurs sur les différents problèmes du système sanitaire, notamment sur la situation dans les centres hospitaliers, le Réseau haïtien de Journalistes en santé, avait pris la décision de rencontrer tous les vendredis la presse locale, dans le but de sensibiliser l’opinion. Nous sommes sur une bonne dynamique et l’on espère continuer » a expliqué l’obstétricien-gynécologue. Il invite les autorités à assumer leurs responsabilités.
A l’image du pays, le système sanitaire haïtien, l’une des meilleures de la Caraïbe, il y a de cela 50 ans, se transforme en peau de chagrin. Difficile d’imaginer le nombre de personnes meurent à cause de sa faiblesse. Un pays qui se veut emprunter le chemin du développement, est un pays où la population jouit d’une bonne santé. A un moment où l’Organisation mondiale de la santé plaide en faveur d’une couverture universelle en santé, où la grogne augmente contre la corruption, il devient urgent que les dirigeants haïtiens prennent conscience de l’état lamentable dans lequel se trouve le système sanitaire.
Azaine Mauryle
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