En Haïti, cohabitent plusieurs religions dont certaines dans leur pratique mobilisent l’environnement comme espace d’action plus que d’autres. Avec les religions chrétiennes, il parait que l’environnement joue un rôle secondaire.
Mis à part certaines pratiques en plein air, le rapport entre le religieux chrétien et la nature est difficilement saisissable. C’est une preuve de plus qui traduit cette vision de Jacques Stephen Alexis qui, dans Le Marxisme haïtien, en analysant les rapports de l’homme à la nature, arrive à la conclusion que « nous ne sommes plus au stade où l’homme est dominé par la Nature ». Ce virement dans les rapports entre l’homme et la Nature, doit être l’objet d’une certaine prudence, vu qu’il devient beaucoup plus préjudiciable pour l’homme qui abuse de sa position dominante pour détruire la Nature dont la disparition engendre nécessairement la disparition de l’homme lui-même.
Vu dans le prisme occidental, la théologie, comme une idée du divin, est de « plus en plus débordée par le développement impétueux du pouvoir de l’homme sur la Nature, par le développement de la Connaissance ». Toutefois, dans certaine société, comme en Haïti, le sacré prend de telle proportion dans la vie des gens qu’il est compliqué d’imaginer une forme d’organisation sociale sans la religion qui serait considérée, comme le soutient Alexis, un « moyen de gouvernement, de domination sur la majorité des hommes ».
Quel que soit la civilisation, quel que soit la culture, il est indéniable qu’il existe une interaction continue, indispensable entre la Nature et l’homme. Pourtant, qu’il soit considéré dans le cadre social, à travers le clan, la tribu ou autres, il existe également entre eux un rapport antagonique traduit par «une lutte de l’homme contre la nature », vu que l’humain est le « seul transformateur connu de l’univers ».
En instituant du sacré dans l’environnement, certaines civilisations ont cassé cette vision antagonique entre l’homme et la Nature, dans une perspective de maintenir l’équilibre et de protéger l’homme contre lui-même, comme étant une part infime de la nature.
En Haïti, un pays dont la formation sociale a débuté dans les champs de canne et dans les montagnes au contact de la nature, le Sacré est campé comme ce que le « profane ne doit pas transgresser ou toucher sans impunité ou initiation préalable ».
Le vaudou en tant que religion qui débuta dans les entrailles de l’esclavage, toujours au contact de la nature, participe à la construction, dans l’imaginaire, d’un système d’interdits, qui aura permis, pendant un certain temps, de protéger ou d’isoler le profane qui doit rester à distance du sacré afin de minimiser les impacts de l’homme sur certains éléments naturels désignés sanctuaires des esprits.
En Haïti, si la situation a beaucoup évolué depuis le siècle dernier, comme le soutien Price Mars, « le village haïtien est, dans certains cas, un milieu sacral. La religion est pratiquement la seule action culturelle qui s’y exerce. » C’est également l’outil par excellence de protection de l’environnement. Dans ces milieux, la prépondérance du vaudou et la liberté dans les pratiques permettent d’établir un système d’interdits connus de tous. Dans un espace où le dialogue entre l’homme et la nature revêt un caractère permanent, ces normes de conduites sont indispensables.
En effet, vu que le religieux détient un monopole quasi-total dans l’organisation de l’espace, il sert d’instrument de médiation entre l’homme et la Nature qui, dans le milieu rural, entretiennent des rapports de proximité vitaux. Car, le paysan dépend de la terre, et cette dépendance devient une menace pour l’environnement qui en pâtit. Avec l’agriculture, le paysan agit sur l’espace, en défrichant à l’excès des espaces qui devaient être protégés.
En résulte, l’érosion des sols qui deviennent moins productifs au fil des ans, occasionnant le défrichage d’autres espaces, aussi le tarissement des sources et la disparition d’espèces de faune et de flore, parfois endémique à Haïti.
Par ailleurs, cette prépondérance du religieux dans la paysannerie haïtienne, décrit par Claude Souffrant, fait du village haïtien un milieu sacral. Poursuivant sa réflexion, Souffrant explique que le temporel n’a ni autonomie ni consistance, son « efficacité propre est masquée par un halo mystique ».
Claude souffrant voit également un lien indéfectible entre « l’hypersacralisation des structures et l’hypersacralisation des mentalités » développée dans ces milieux où « le développement économique et social est mollement recherché » vu que les gens sont persuadés que les choses ne peuvent s’arranger que dans l’au-delà.
Cette conception du monde suggère une transition entre le réel et cet arrière-monde où réside le « bon dieu bon ». Les esprits qui doivent aider à assurer cette transition se voit attribuer des caractéristiques humaines et des habitats dans l’environnement. Pour parvenir à un développement intégré, il faut nécessairement une reconstruction des mentalités, tout en conservant ces éléments culturels et religieux importants qui représentaient jadis une barrière efficace contre les agressions que subissait l’environnement.
En dépit de la misère qui est considérée comme un facteur aggravant de la dégradation de l’environnement, ces rapports avaient permis de réduire les violences sur certains éléments de la nature ainsi que les actions « anthropophagiques » coutumières des zones urbaines qui, avec le mouvement de désacralisation, avaient commencé à devenir des pratiques qui s’installent dans les zones rurales.
Les systèmes d’interdit ont également permis de freiner certaines tendances propres à l’urbain où l’homme se croit investit du pouvoir d’exercer une liberté absolue sur l’environnement. En réduisant la nature à sa simple expression économique, grâce à ce mouvement de désacralisation, elle est susceptible de subir jusqu’au « chaos généralisé la destruction » comme le suppose Harris Memel Footê.
La sacralisation de certains éléments de la nature devient, dans les milieux ruraux, une barrière de protection pour l’environnement. Avec le temps, cette pratique est devenue minimaliste et considéré comme sorcellerie dans les grilles d’analyses occidentales, notamment celles créées à travers les différentes confessions religieuses d’origine chrétienne.
Cette vision folklorique, dans le sens de Price Mars, à savoir connaissance du peuple, a pourtant permis aux générations passées de transmettre aux générations actuelles, des pans importants du patrimoine naturel du pays. Ceux-ci ont servi à la construction d’une certaine identité haïtienne. Une identité qui repose sur des connaissances lointaines venues d’Afrique ayant rapport avec la médecine naturelle, la préservation des espèces, etc. qui servent aujourd’hui à la population, en particulier cette frange importante qui vit dans les milieux ruraux.
Le cas du Bassin Dominique
Dans le département du sud, au cœur de la commune de Cavaillon, dans la 3e section communale, Gros-Marin, Lakou Dominique, où se trouve le bassin Dominique est un endroit réputé mystique. Dans cet espace, tous les arbres ont une histoire. Certains servent de sanctuaires aux esprits vaudou.
Un système d’interdit est établi. Les enfants ne peuvent, sous aucun prétexte, grimper aux arbres. Certains arbres ne peuvent tout simplement être montés que par des personnes possédées. Dans son livre analyse schématique, Jacques Roumain met en lumière ces rapports entre les esprits vaudous et les éléments de la nature.
En exemple, Roumain cite Ogoun, Patron des forgerons et esprit guerrier qui, selon une légende africaine, rendit la terre habitable pour les premiers hommes.
Pour revenir au bassin Dominique, c’est un bassin dans lequel, personne ne peut se baigner s’il n’est possédé par un Loa. Il est également interdit de couper les arbres qui l’entourent sous peine de se voir maudit par les esprits et assailli de malchance. Les rassemblements auprès de ce bassin rappellent étrangement les rassemblements des bandes de rara à Léogâne dans cet espace dénommé « Grand-Lakou ».
En effet, les bandes comme La Fleur de Rose, Ti Malice et autres ne défileront pas dans les rues de Léogâne, si elles ne passent pas par le « Grand-Lakou » et ses arbres habités, dit-on, par des esprits vaudous. Ces arbres sont protégés et constituent des sanctuaires pour ces esprits qui commandent les bandes de Rara. C’est également le cas pour Bassin Dominique et la Bande de Rara appelée « Reziyen » qui ne prendra pas les sentiers de la campagne de Gros-Marin, sans avoir joué plusieurs minutes près de ce bassin où l’eau et son reflet verdâtre donnent des frissons aux visiteurs.
Outre les nombreuses espèces d’animaux domestiques qui sont protégées pour servir dans les cérémonies vaudou, comme le coq pour recevoir Ogoun, le taureau qui est sacrifié dans les cérémonies de sacrifices du Tambour Assôtôr, le vaudou et la nature, au regard des exemples précédents, sont dans un dialogue permanent et dans un rapport d’interdépendance qui permet à la nature de se régénérer et au vaudou de puiser les éléments nécessaires à ses rituels.
La cérémonie de Legba, rapportée par Roumain et constatée dans ces cérémonies sur les berges du bassin, aident mieux à comprendre ce rapport d’interdépendance entre la religion vaudou et la nature. À cette cérémonie, le hougan et la personne possédée par Legba se rendent toujours devant un arbre sacré où sont déposés les offrandes. Point n’est besoin de dire qu’il est interdit de couper cet arbre qui sert de sanctuaire à cet esprit.
Haïti et le développement
Le vaudou n’est pas une affaire de paysan, ce serait un discours sophistiqué préjudiciable. Toutefois, dans le cadre de ce travail, les pratiques ayant rapport à l’environnement sont plus présentes dans le milieu paysan. Cette catégorie, bien que négligée, a toujours été un moteur de l’économie haïtienne.
Les réflexions de W.K Marshall rapportées par Jean Casimir dans « La Caraïbe une et divisible » mettent l’emphase sur la capacité d’innovation du paysan qui a cassé le système de monoculture établi en Haïti comme prolongement du colonialisme. En introduisant de nouvelles espèces végétales comme la Banane, le café, la Noix de coco, le paysan haïtien, en plus d’enrichir la biodiversité, enrichit l’économie en dotant le pays de nouveaux produits d’exportation.
Ces nouveaux produits entrent également dans les rituels pratiqués en Haïti pour nourrir certains esprits. Dans certaines campagnes, le cordon ombilical est mis en terre avec un cocotier qui grandit avec le nouveau-né. Des pratiques magico-religieuses qui contribuent au renouvellement de la flore. Dans le vaudou, chaque esprit a des mets préférés, et la culture de ces produits deviennent indispensables dans une perspective d’en disposer en permanence pour les services religieux.
Voilà un élément spécifique qui montre que l’économie haïtienne ne peut nullement suivre les mêmes trajectoires que celles des autres pays occidentaux. Toutefois, la culture de ces nouveaux produits accentue le défrichage des espaces boisés, ce qui occasionne, d’un autre côté, des pertes majeures en matière de biodiversité. C’est l’équilibre qu’il faut trouver pour concilier la nature et l’économie.
En Haïti, il est nécessaire d’entrevoir le développement à travers le prisme d’un patrimoine collectif qui permet de tenir compte des valeurs culturelles propres au pays. Ce qui doit favoriser une meilleure intégration de toutes les forces vives, en particulier, les masses paysannes qui, pendant longtemps, ont maintenu en vie l’économie par les coulées des fleuves de sueur non rémunérés pour leur travail dans les champs des campagnes haïtiennes. C’est une constante nécessaire à la croissance des économies agro-exportatrices, estime Jean Casimir.
Les prémices d’un développement intégré dans les campagnes aujourd’hui dépassés ont servi de modèle au monde urbain. En effet, les paysans ont depuis les premières heures, après l’indépendance, mis en place des marchés, des services publics. Leurs contestations et leurs demandes d’éducation ainsi que de moyens de communication ont permis des avancées considérables dans l’organisation des communautés locales fondamentale à l’établissement des sociétés modernes.
Cette nouvelle vision du développement qui doit nécessairement prendre en compte les valeurs et cultures des communautés locales, doivent pousser à la reconstruction d’une nouvelle élite capable de proposer de nouveaux projets qui intègrent toutes les couches de la nation. L’élite ne peut être construite comme une altérité antagonique à la nation, à la population, alors qu’elle fait partie de cette population et dépend d’elle dans son positionnement dans l’échelle sociale.
Il nous faut donc casser cette politique coloniale qui se poursuit et qui « crée une élite qui n’a aucun rapport avec le mode de production », comme le soutient Édouard Glissant. Cette élite servile à « jamais incapable de retourner contre ses créateurs », ne peut nullement servir l’intérêt commun et travailler dans la moindre mesure à la construction du bien être pour tous.
LEPS le MAGnifik
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