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Sacré et environnement :

La difficile conciliation entre l’homme et la Nature

(Première partie…)

La sacralisation de la Nature n’est pas un phénomène nouveau. C’est une démarche intrinsèquement liée à la religion. « Toute religion suppose un environnement, site de la société et de sa culture», comme l’explique Harris Memel Footê.

Les croyances, comme exprimées chez Durkheim, constituent des représentations mentales qui expriment la nature des choses sacrées et les rapports qu’elles soutiennent soit les unes avec les autres soit avec les choses profanes. Aussi permettent-elles de mieux cerner comment les imaginaires collectifs des peuples se sont représentés l’environnement et se sont attelés à le protéger.

Les rituels institués à travers ces systèmes de croyances sont considérés dans la conception durkheimienne comme des règles de conduites qui prescrivent comment l’homme doit se comporter avec les choses sacrées. 

Une approche d’autant plus intéressante que le sacré, dans la nature, remplit son rôle de protection à l’égard des éléments environnementaux, dans la mesure où elle arrive à imposer une forme de comportement qui isole l’homme des espaces déterminés comme tels.

Des civilisations anciennes ont imaginé des au-delàs qui ressemblent étrangement avec le monde dans lequel nous vivons. C’est le cas dans les mythes grecs qui conçoivent des fleuves, chacun ayant une fonction particulière, au sein même de l’enfer. L’on peut citer le Styx qui donne l’invulnérabilité, le Phlégéthon qui sert de prison pour les âmes des mauvais, etc.

Dans la mythologie égyptienne, l’environnement occupe une place à part. La vie est fortement dépendante de la dynamique environnementale. Le Nil est un fleuve sacré qui permet d’entretenir la vie. Ses crues permettent la fertilité des sols dans un pays où l’eau est une denrée rare. Est-ce pourquoi ce cours d’eau mythique est vénéré depuis les premières dynasties des pharaons, et jusqu’à aujourd’hui encore.

Ces cultes à l’environnement s’étendent même aux dieux de la mythologie égyptienne, dont le plus puissant considéré comme la source de toute vie, Râ, est présenté comme étant le disque solaire. D’autres ont des aspects humains avec des têtes d’animaux qui composent la biodiversité. C’est le cas d’Horus, le dieu à tête de faucon,  de Sekhmet la déesse de la guerre qui a une tête de lionne, de Thot, le dieu de l’intelligence qui a une tête de cygne, etc.

Les grecs ont eux imaginé un collège de dieux à morphologie humaine qui vit sur une montagne sacrée, l’Olympe. Pour certaines tribus d’Afrique, le Kilimandjaro est une montagne sacrée, des sources, des rapides ainsi que des forêts sont sacrées… D’ailleurs, même dans la mythologie judéo-chrétienne, Dieu est souvent lié à l’environnement.

Outre cette volonté à se présenter à des personnalités sur des montagnes, Moïse et Jésus, sa volonté de sauvegarder la biodiversité avec Noé, et le mythe du déluge, Dieu lui-même a pris l’aspect d’un animal à travers une de ses manifestations, l’Esprit saint qui descendit sur Jésus sur la forme d’une colombe au moment de son baptême dans le Jourdain.

Tous ces mythes témoignent de l’importance de l’environnement, dans différentes cultures et à différentes périodes. L’exemple du Nil plus haut mentionné est d’une importance capitale pour avancer dans notre réflexion. À partir de cette illustration, nous pouvons nous retrouver dans une vision dualiste de la sacralisation de l’environnement, soit à l’instar de Bérengère Hurand, dans son texte « Irréductible nature »  qui se questionne sur l’existence éventuelle du sacré dans la Nature.

D’un autre côté, la vision retrouvée dans le discours du patriarche Bartholomée Ier de Constantinople, tenu à l’Institut catholique de Paris, le 31 janvier 2014, bâtit sur l’idéologie Judéo-Chrétienne, plus totalisante, affirme que la terre a été donnée en héritage à l’homme comme don de Dieu, conséquemment, l’environnement dans son ensemble est sacré.

L’environnement est sacré ou il y a du sacré dans l’environnement ce sont deux visions différentes qui alimentent les espaces discursifs. Quel que soit celle considérée, le lien entre l’environnement et le sacré fait naître la nécessité de protéger la Nature.

S’il est vrai que Descartes, ne « veut voir dans la nature que matière » tout en refusant cette transformation de la « réalité Naturelle vers une réalité surnaturelle », il est pourtant clair que les peuples, à travers le monde, et à divers moments de l’histoire, ont trouvé et ont donné d’autres sens à la nature ou à certains éléments de la Nature. Conséquemment, il devient presque incontournable de se questionner sur une éventuelle dimension spirituelle de la crise environnementale.

« La société moderne s’est pensée et construite contre le sacré, en dehors du sacré », c’est ce qui serait à la base du « désenchantement du monde », selon la conception de Hurand. Cependant, ce sacré est cerné dans le prisme de l’occident chrétien.

S’il est vrai que la modernité construite dans les frontières occidentales est fortement écocide et constitue une menace pour l’homme et pour la planète, la civilisation occidentale n’est pas la seule menace pour l’environnement. Il faut redéfinir les rapports de l’homme avec son environnement en tenant compte des réalités particulières.

Tout d’abord nous allons nous intéresser au christianisme et à son incidence sur l’environnement. Pour une raison simple, les discours émanant de la civilisation ou des civilisations qui ont adopté les religions judéo-chrétiennes sont dominants à travers le monde.

 La domination ne doit pas être ici perçue en termes de nombre d’adeptes mais dans le sens que ces discours ont un impact plus important sur la dynamique des sociétés dans les différentes parties du monde que ceux qui proviennent des autres religions. Le christianisme est le ciment du capitalisme occidental qui, à travers la société de consommation, cause des dégâts irréparables à l’environnement.

Des penseurs comme Lynn White Junior voient le christianisme, comme une « religion de la transgression et de la liberté, un outil de désacralisation » qui redéfinit sur d’autres bases les rapports de l’homme à la nature. Un point de vue que partage Marcel Gauchet qui définit le christianisme comme une « religion de la sortie de la religion ».

« Ce serait une religion qui  refuse l’aliénation aux tabous et aux interdits, aux menaces des puissances naturelles ou surnaturelles ». Selon cette conception, le sacré est remplacé par la sainteté. Une nuance importante qui va avoir un impact important sur l’objectivation de la nature à partir des théories positivistes d’Auguste Comte. En Remplaçant le sacré qui est dans la nature par la sainteté qui serait au ciel, la nature est livrée aux caprices de l’homme qui ne voient plus de limites à ses actions. Il devient maitre du monde.

À cette phase, il convient de définir le sacré. Hurand, croit que le sacré, dans une vision  anthropologique, est « un objet mis à part, protégé ; il appartient à un domaine séparé, avec lequel on ne peut entretenir de relations que dans un cadre rituel ». Durkheim essaie de dégager, pour sa part, une vision sociale du sacré qui permet de le saisir dans sa dimension transcendante.

Pierre Charbonnier,  en mobilisant la conception Durkheimienne, arrive à la conclusion que « le sacré représente l’idée que la société se fait d’elle-même : cette extériorité sans laquelle elle ne peut se constituer, cet au-delà du social. »  Cette vision du sacré est importante, en ce sens qu’elle crée une collusion dans la société elle-même qu’elle campe à la fois comme actrice et spectatrice de sa propre dynamique.

Elle permet de dégager une nouvelle vision des rapports entre l’homme et son environnement, tout en se rappelant que l’« humanité n’est pas dans un face-à-face avec Dieu ». De plus, l’humanité n’est pas un propriétaire exclusif de la planète terre, mais de préférence un copropriétaire qui se trouve dans l’obligation d’habiter la planète avec d’autres espèces avec lesquelles elle doit nécessairement développer des rapports d’interdépendance pour assurer sa survie.

À partir de cette analyse, l’on serait tenté d’avancer qu’il n’y a pas de « sacré » dans la nature. Toutefois, l’homme dans l’actualisation de ses rapports avec les autres espèces de la faune et de la flore, confère ce caractère sacré à certains éléments qui seraient des dons directs provenant de son créateur.

Les penseurs Émilie Hache et Roger Gottlieb apportent aussi une éclaircie décisive  qui facilite la compréhension sur l’introduction du sacré dans la nature. Les deux penseurs estiment que « cette idée du caractère sacré de ce qui est, indépendamment de la façon dont il est advenu à l’être et de la manière dont il est, émane de  l’intuition que l’absolue gratuité de ce qui se donne « sans donateur » doit être protégée contre ce qui le profane, c’est-à-dire le « réduit à sa réalité matérielle, transformable, exploitable ou consommable ».

C’est justement cette vision utilitariste qui place la nature sous les caprices de l’humain, alors que cette même nature est le lieu du déroulement de l’action et de l’histoire humaine. Elle serait donc une totalité qui englobe l’homme, au lieu d’être considérée comme un autre extérieur à lui, soumis aux  fluctuations de sa volonté.

Edelin Dorismond, dans sa vision phénomélogique estime que la Terre est un habiter qui sert de demeure à l’humanité. En suivant cette réflexion, elle doit être considérée comme sacrée car sa disparition engendre nécessairement la disparition de l’homme. Mais, comment « habiter » la Terre sans la détruire? Voilà une question à laquelle les générations passées et présentes ont peiné à répondre, alors que les générations futures devront y trouver une réponse efficace et effective. Une réponse peu évidente, dans la mesure où la nature constitue le vivier où l’homme puise les éléments nécessaires à la satisfaction de ses besoins.

Le sacré est avant tout une invention de l’homme. Si en effet, comme l’affirme Hurand « rien n’est sacré a priori, tout peut l’être à l’occasion d’une rencontre », ce sacré inventé par l’homme et qui le dépasse reste soumis à son action. Le sacré est donc à la fois extérieur à l’homme, tout en étant en l’homme. C’est ce qui le rend inaccessible.

Le philosophe africain Harris Memel Footê explique en ce sens que « l’environnement est un dehors opposé à un dedans », c’est-à-dire comme une « solidarité entre la culture et la nature hors de l’homme ».

Cette conception permet de présenter l’environnement comme un habitat ou cohabitent les ancêtres et les autres sociétés humaines des dieux  dont les sanctuaires ont pour nom : sources, fleuves, forêts, montagnes. Cette conception est importante dans la mesure où elle traduit une réalité similaire, dans les régions rurales haïtiennes, où les ancêtres, les Loas et les vivants cohabitent.

Hans Jonas  et Éric Pommier fait intervenir d’autres éléments important qui situe l’homme au sein de la Nature. À partir du « caractère immanent de la vie », ces penseurs croient que le sacré est une garantie morale du respect de la vie.

Étant sacré, la nature doit être protégée contre les menaces de dénaturation et de profanation. Dans un mouvement réflexif, l’homme en sacralisant la Nature, se sacralise lui-même et se protège contre lui-même tout en créant son authenticité.

Lionel Edouard
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